Les trésors de la villa

Certains éléments de notre patrimoine local sont laissés à l’abandon faute d’intérêt ou de moyens, d’autres connaissent une nouvelle naissance grâce à l’implication et à l’énergie déployée par de généreux bienfaiteurs. En 2006, l’ancienne demeure des directeurs de La Houve située à Creutzwald, dite « Villa La Clairière », a profité d’une réfection complète menée par la Fédération Pro Europa Christiana (FPEC). Cette belle demeure bourgeoise recelle de richesses insoupçonnées que nous allons vous présenter.

Composée de neuf associations présentes dans sept pays européens, la FPEC a pour objet d’œuvrer à la reconnaissance institutionnelle de l’héritage chrétien de l´Europe et des valeurs morales et sociales composant le patrimoine européen. Elle s’attache notamment à la formation de la jeunesse et au rapprochement entre les jeunes de differentes cultures par l’organisation de manifestations publiques ou privées, notamment de colloques, séminaires, congrès, expositions et autres rencontres scientifiques ou culturelles d’envergure locale, nationale, européenne ou internationale.

1. Une demeure liée à l’aventure charbonnière

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L’histoire de la Villa La Clairière débuta, pour ainsi dire, en 1854 avec la découverte du premier gisement charbonnier et l´attribution d´une concession de 1 732 hectares à un consortium privé. Plusieurs puits furent foncés dans les environs : le puits Marie en 1895, le puits Jules en 1898 et le puits Uhry en 1908. La production charbonnière passa de 2 171 tonnes en 1898 à 200 000 tonnes en 1905. A cette date, 1 173 mineurs travaillaient à La Houve, soit près de la moitié de la population de Creutzwald. Un an plus tard, on édifia à proximité du carreau du siège I, une demeure digne de ce nom pour le directeur de l’exploitation : la Villa « La Clairière ».

Durant la Deuxième Guerre mondiale, La Clairière fur investie par l’armée allemande. En 1945, les mines furent nationalisées, mais la Villa « La Clairière » resta une propriété privée pour le personnel encadrant des Houillères du Bassin de Lorraine.

Au début des années 2000, la FPEC cherchait un nouveau siège social au carrefour de l’Europe. Le pays de la Nied apparut comme le lieu approprié en raison de sa situation géographique, à la jonction de l’Allemagne et du Luxembourg, non loin de la frontière belge. Depuis 1994, la Villa « La Clairière » était propriété d’un industriel allemand qui peinait à remettre en état la demeure laissée à l’abandon depuis la fin des activités de l’Association Familiale d’Aide aux Enfants Inadaptés qui en avait fait un Centre d’Adaptation par le Travail (CAT) vers 1970.

La Fédération fit ainsi l’acquisition d’une demeure délabrée. Il fallut plusieurs années de travaux pour lui redonner son allure d’antan et réhabiliter le parc environnant. Elle fut solennellement inaugurée le 7 mai 2006 en présence du Cardinal Estévez Medina, ancien Préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements.

2. Un écrin rafiné

Quand on pénètre aujourd’hui par la grande porte cochère, on est immédiatement saisi par la beauté des lieux que traduit le grand escalier de bois orné de chardons lorrains ; par la splendeur retrouvée de cette ancienne maison de maître qui transparait à travers le riche sol de granit ; par le rafinement d’une décoration choisie avec goût pour donner de la superbe aux espaces de la demeure. Entre la statuaire, les peintures, les pièces d’orfèvrerie et le mobilier, la Villa Notre-Dame-de-La-Clairière offre un magnifique écrin que nous allons explorer à l’occasion des 10 ans de sa réfection par la FPEC.

Les oeuvres d’art de la Villa La Clairière sont si nombreuses et si diverses que nous ne pourrions pas toutes les évoquer dans cet article. Nous avons fait le choix de mentionner les pièces les plus remarquables de la collection.

3. Une statuaire essentiellement religieuse

La Pietà en bois polychrome du XVIIIe siècle est de style rhénan. Elle représente la Sainte Vierge, mère éplorée par la mort de son Fils, tenant sur ces genoux le corps inerte du Christ descendu de la croix. Ce sujet se répand au milieu du XIVe siècle, marqué par les épidémies de peste noire qui décima les populations européennes. En représentant la Sainte Vierge sous les traits de la Mater dolorosa, les artistes permirent aux familles des victimes de s’identifier aux souffrances de la Vierge pour y trouver leur réconfort. La Piétà de Creutzwald est une Vierge de belle facture vêtue d’un habit rouge, couleur du martyr, parée d’un manteau bleu profond bordé d’or.

Le visiteur peut aussi admirer la sixième station de l’ancien chemin de croix de l’abbatiale de Bouzonville, datant du début du XIXe siècle. Celui-ci a malheureusement entièrement disparu, exception faite de cette station préservée grâce à la FPEC. Pour avoir une idée de ce que fut le chemin de croix bouzonvillois, il faut s’intéresser à celui d’Orcival (Puy-de-Dôme) qui reprend exactement les mêmes sujets à une échelle réduite. L’ancien chemin de croix de Bouzonville a fait place à un nouveau chemin de croix réalisé en 1821, le long de la route de Thionville, lui-même modifié en 1879 par le sculpteur et marbrier Laroche de Kédange sur Canner. Cette sixième station a été offerte à la FPEC. Elle fut installée sous l’escalier d’entrée après avoir été restaurée par l’entreprise Kling. Elle représente sainte Véronique essuyant le visage du Christ ligoté, pour apaiser ses souffrances. Sur le côté droit, les instruments de la passion (les clous, les cordes, un marteau) annoncent le supplice que va connaître Jésus sur le calvaire. Notre attention se porte immédiatement sur l’intensité des regards. Sur la droite se tient l’un des bourreaux au visage très dur (arcades sourcilières proéminentes, nez crochu) dont l’expression du regard traduit colère et vengeance. L’on entend bruisser les cris de la foule dans les rues de Jérusalem, les injonctions des bourreaux. L’échange silencieux entre Véronique et Jésus, emprunt de tristesse et de compassion, contraste avec ce déchaînement de haine et d’injustice. Le Seigneur Jésus, souffrant sa passion, se tient debout, assumant pleinement la peine qui lui est infligée, pour la salut de l’humanité.

008La statue de Notre-Dame dans le parc de la Villa est un témoignage d’une dévotion locale, celle de la Vierge de Falck, dite « Madone du Langenberg ». Le couvent des Rédemptoristes installé à Teterchen en 1847 est à l’origine de cette statue. L’établissement était un collège pour les futurs pères de la congrégation. Les enseignants et élèves se rendaient toutes les semaines au Langenberg pour un temps de récréation et de prières. Le recteur du couvent, l’abbé Sigrist, convainquit le garde forestier de Guerting d’édifier une statue à cet endroit pour soutenir leurs prières. La confection de la statue fut confiée à la société Villeroy & Boch de Mettlach en Sarre. Elle fut solennellement inaugurée le 11 novembre 1866 par le curé de Creutzwald, l’abbé Jean Risse. Depuis, les fidèles de la région s’y retrouvent tous les lundis de Pentecôte pour y accomplir leur dévotion. On peut noter que, malgré les vissicitudes historiques (la Première et la Deuxième Guerre mondiale et l’occupation de la région par les nazis), la statue est toujours intacte. 010Il s’agit d’une pièce d’environ 1 mètre 50 de haut, posée sur un socle de 2 mètres portant l’inscription : Silvae ac in illa orantibus Maria benedicat (Que Marie bénisse cette forêt et tous ceux qui viennent y prier). Une charmante légende raconte que la statue aurait été édifiée par le garde forestier, en reconnaissance envers la Mère de Dieu qui lui aurait permis de retrouver son chemin dans la forêt. D’autres parlent d’une apparition au forestier de Notre Dame et de saint Hubert. La société Villeroy & Boch de Mettlach réalisé une copie qui était vénérée dans le jardin du presbytère de Niedaldorf en Sarre. Cette réplique de la Madone du Langenberg fut offerte par l’abbé Ingo Flach à la FPEC. Il la bénit lui-même après son installation dans le parc de la Villa le 27 septembre 2013 en présence d’une foule nombreuse.

Le parc de la Villa comporte aussi une statue de saint Joseph dont l’histoire lui confère une valeur affective. Elle se trouvait dans le jardin du presbytère de Creutzwald jusque dans les années soixante. Le curé l’offrit ensuite à l’organiste qui l’entreposa d’abord dans une pièce du foyer paroissial, avant de l’emporter chez lui. Elle le suivi dans son déménagement où elle trouva une belle place sur la grande terrasse de son immeuble. Après son décès, la famille la remit à la FPEC qui la restaura et l’installa dans le parc, à proximité du bassin.

4. Thèmes religieux et événements historiques : la peinture et les arts graphiques

SEDE-Creutzwald-Villa Notre-Dame de la Clairière-Capela1La forme du chemin de croix se construisit sous l’impulsion de la piété populaire qui, tirant des sujets des évangiles et de la tradition orale, fixa le nombre de ses stations à 14 au XVIIe siècle. Seuls les cardinaux, les évêques et les supérieurs de l’Ordre des frères mineurs avaient l’autorisation d’ériger et de bénir ces stations. En 1963, Paul VI permit aux évêques d’autoriser leur clergé à le faire, sauf dans les paroisses abritant un couvent franciscain en activité.

La composition homogène des stations du chemin de croix de Creutzwald offre un ensemble très équilibré : les scènes de la passion sont portées par un ciel noir surplombant un décor végétal et un sol minéral. J. Beau traite le sujet de manière théâtrale avec de nombreux personnages tous vêtus de toges blanches dont le tissu accentue l’impression de mouvement. Le Christ nimbé porte lui aussi des vêtements immaculés sous le poids d’une croix bordée d’or. Cette représentation, loin de rechercher le réalisme d’un Christ souffrant, aspire davantage à susciter la dévotion en présentant déjà Notre-Seigneur sous des traits glorieux.

Entre 1997 et 2015, l’Institut international de Recherche sur les visages du Christ publiait chaque année une série d’ouvrages aux éditions Velar qui faisaient une recension des plus belles représentations du Christ dans l’iconographie chrétienne. Le dizième volume, paru en 2006, fait apparaître six photographies du chemin de croix de la Villa de Creutzwald. Publié sous la direction du Cardinal Fiorenzo Angelini, cet ouvrage fut préfacé par Sa Sainteté le pape Benoit XVI.

Le mur qui jouxte le grand escalier est décoré d’une série de 14 lithographies colorées à la main, oeuvre de Gerardus Johannes Bos (1825-1898), artiste néerlandais. A l’origine, cette gravure se composait d’une seule pièce de papier de plus de 10,22 mètres de long qui fut ensuite divisée en plusieurs miniatures.027-panorama-entree

On est saisi par la finesse des détails, la minutie du travail de gravure et de la mise en couleur. Cet ensemble intitulé Maskerade – ou Mascarade en français – représente le cortège d’entrée de Charles Quint (1500-1558), futur Empereur et Roi des Romains, à Dordrecht en Hollande, en 1515. Le terme de « Mascarade » désigne au sens propre un défilé de personnes déguisées ou masquées. Charles Quint, tout juste agé de 15 ans, fit son entrée triomphale à Dordrecht, capitale du Comté de Hollande pour y recevoir le titre de « Comte de Hollande ». A l’occasion du 208e anniversaire de la création de l’Université de Leyden, les étudiants firent une reconstitution de cet événement historique. Après avoir mené des recherches poussées sur la visite impériale à Dordrecht, chacun étudiant endossa le rôle d’un personnage présent en 1515. Chacun des 183 personnages représentés sur la lithographie de Bos est numéroté et renvoit au nom de la figure historique et au nom de l’étudiant qui le représentait. Le futur Empereur entouré de ses pages porte le numéro 66.

dsc_0011Le tableau placé au dessus de l’autel de l’oratoire est de style français du XIXe siècle. Il représente un Christ aux outrages. Le sujet tire son origine dans le récit de la Passion de Jésus. Après avoir été interrogé par Ponce Pilate, le Christ fut flagellé et affublé des attributs dérisoires de sa royauté : le manteau de pourpre, le sceptre de roseau et la couronne d’épines. Le préfet romain de Judée présenta Jésus aux railleries de la foule avec la phrase restée célèbre : Ecce homo (voici l’homme). Il s’agit de l’un des thèmes privilégiés de la Contre-Réforme qui appartient à l’univers sobre et sévère du XVIe siècle. Alors que les Protestants rejetaient toute représentation de Notre-Seigneur, les Catholiques, dans la droite ligne du Concile de Trente, insistèrent sur les souffrances du Christ et sur son humanité, pour rapprocher les fidèles des personnages sacrés et rendre les récits évangéliques plus compréhensibles. Le tableau de Creutzwald se compose de deux plans. A l’arrière-plan, des Romains armés de lances, couverts de heaumes, semblent converser avec Ponce Pilate qui sort de son palais. Au premier plan, le Christ revêtu d’un manteau de pourpre, couronné d’épines, les poings liés, la tête baissée, attend son supplice escorté de trois hommes aux visages sévères qui portent des habits simples

DSC09680Dans la salle à manger, nous pouvons admirer une Adoration des mages vénitienne du XVIIe siècle. Sur la gauche du tableau, la Sainte Vierge et saint Joseph présentent l’Enfant-Jésus à l’adoration des trois mages barbus accompagnés d’un page. Devant la souveraineté de l’Enfant, le mage occidental a déposé sa couronne sur le sol. La convergence des regards sur l’Enfant Divin est accentuée par le mouvement des drapés éclairés par une lumière extérieure. La technique est plutôt grossière, mais l’élégance de la composition fait du tableau un ensemble charmant.

DSC09659La charge des cuirassiers de Paul Emile Léon Perboyre (1851-1929) représente l’une des batailles les plus célèbres de la Guerre franco-prussienne. Le 6 août 1870, le Maréchal de Mac Mahon (1808-1893) tenta d’arrêter les 140 000 Allemands commandés par le Prince de Prusse qui essayaient de franchir la Sauer. Au cours de cette bataille, alors que les Français n’étaient que 36 000 hommes, eut lieu, à la hauteur de Morsbronn, la célèbre charge des cuirassiers dits « de Reichshoffen ». Le Maréchal de Mac Mahon décida la retraite pour sauver ses troupes de l’encerclement qui les menaçait. Pour protéger le mouvement de repli, il demanda au Général Charles-Frédéric de Bonnemains (1814-1885), commandant la division des cuirassiers de la réserve de cavalerie, de freiner l’avance ennemie vers Frœschwiller. La brigade Girard, à l’avant du front, fut décimée en dix minutes, sans même pouvoir combattre l’infanterie ennemie en raison du feu intense et des difficultés de terrain. La brigade Brauer chargeant par demi-régiments successifs connut le même sort. Le sacrifice de ces deux brigades permit de couvrir le retrait des troupes françaises.

La Sortie pour la guillotine de Georges Cain (1856-1919) mérite aussi notre attention. Georges Cain fut un peintre, illustrateur et historien parisien. Ce tableau représente l’escalier par lequel la reine Marie-Antoinette sortit de la Conciergerie pour être conduite à la guillotine le 16 octobre 1793. Cette scène est à rapprocher des illustrations de Cain sur le Paris d’autrefois. L’oeuvre est vraisemblablement un tableau préparatoire de l’huile sur toile intitulée Marie-Antoinette sortant de la Conciergerie que l’on peut aujourd’hui admirer au Musée Carnavalet dont Cain fut le conservateur de 1897 à 1914.

5. Allégories nationales et objets de piété : les bronzes et pièces d’orfèvrerie

SEDE-Creutzwald-Villa Notre-Dame de la Clairière-Capela-ImgSt-Pietá2Dans l’oratoire, on peut admirer des stalles sobres du XIXe siècle provenant du couvent des Dominicains de Pellevoisin dans l’Indre. Pellevoisin est un lieu d’apparitions mariales : la Sainte Vierge y apparut à quinze reprises à une jeune femme de 33 ans entre février et décembre 1876.

Le 19 février de cette même année, la jeune Estelle Faguette, atteinte d’une maladie incurable, se trouva miraculeusement guérie. Les stalles furent acquises par l’abbaye Saint-Georges de Saint-Martin-des-Bois (Loir-et-Cher) avant d’être vendues à la FPEC en 2003. Elles furent adaptées sur mesure pour s’intégrer parfaitement aux dimensions de l’oratoire de Creutzwald.

img_0194Il comporte plus de 50 reliques, parmi lesquelles des reliques de saints Papes (Pie V, Léon IX, Pie IX, Pie X), de saints fondateurs (Ignace de Loyola, Dominique, Jean de la Croix), de saints rois (Louis, Ferdinand)… et d’autres reliques prestigieuses de la Sainte-Croix, de la colonne de la flagellation, de la mangeoire, de la crèche et de la maison de Lorette.

L’oratoire dispose aussi de très belles pièces d’orfèvrerie destinées aux célébrations liturgiques : un ostensoir en vermeil du XIXe siècle, des pique-cierges d’autel du XIXe siècle provenant de Cracovie, ainsi qu’une magnifique paire de burettes et un calice du XIXe siècle offerts par le Cardinal Estevez Medina lors de sa visite inaugurale en 2006.

SEDE-Creutzwald-Villa Notre-Dame de la Clairière-ImgSt-Luís Rei1L’une des pièces-maîtresse de la Villa est la statue reliquaire représentant le roi saint Louis en majesté. Cette pièce en bronze doré de 1860 est l’oeuvre de Franz Melnitzki (1822-1876), sculpteur de François-Joseph Ier de Habsbourg-Lorraine, Empereur d’Autriche et Roi apostolique de Hongrie de 1848 à 1916. Le socle carré de style gothique est orné d’anges portant des écussons aux armes du marquis français commanditaire de l’œuvre. Une relique ex ossibus (morceau d’os) du saint Roi de France est intégrée à la statue.

Dans le salon, on peut admirer une statue équestre en bronze de Jeanne d’Arc signée par l’artiste parisien Emmanuel Frémiet (1824-1910). Jeanne d’Arc y est représentée en armure, tête nue, brandissant un étendard. Ce bronze est la réplique miniature du fameux monument en bronze doré érigé en 1874 place des Pyramides à Paris. Il s’agit d’une commande du Gouvernement français suite à la défaite de la France en 1870. Frémiet choisit comme modèle une jeune lorraine pour représenter une Jeanne d’Arc conquérante. A partir de la révolution de 1848 qui vit l’émergence des nations européennes, Jeanne d’Arc fit l’objet d’une fascination populaire, disputée par les ardents défenseurs de la nation française qui en firent l’allégorie de la France, et les Catholiques qui avaient toujours vu en elle une figure de sainteté. Elle ne fut béatifiée par l’église qu’en 1909 et élevée à la gloire des autels au titre de « sainte » en 1920. L’oeuvre de Frémiet rejoint davantage la première interprétation de la Pucelle d’Orléans. Un grand nombre de ses sujets sont d’inspiration religieuse, mais adoptent toujours un style qui les rapproche du domaine civil. En effet, Frémiet fut un artiste « officiel » et répondit à de nombreuses oeuvres à la date du Gouvernement français.

L’essentiel de l’oeuvre de Frémiet est consacré aux statues équestres, en faisant du sculpteur un maître du réalisme animalier. Nous en voulons pour preuvre le Monument de Velazquez (1892) du jardin de la Colonnade du palais du Louvre et la statue de Saint Michel terrassant le dragon (1897) qui domine le Mont Saint-Michel. Une réplique de cette dernière statue se trouve au sommet de l’église Saint-Michel des Batignolles dans le 16e arrondissement. L’exemplaire personnel conservé par Emmanuel Frémiet dans son atelier enrichit aujourd’hui la collection du Musée d’Orsay. Un autre modèle décore le hall d’entrée de la Villa Notre-Dame de la Clairière. Le premier Saint Michel de Frémiet fut réalisé en 1879 dans un but commercial, car l’on s’arrachait, à l’époque, les bronzes des grands artistes (Rodin, Claudel, Moreau). Cette petite statue de 50 centimètres fut choisie par l’architecte en charge de la restauration de l’abbaye du Mont Saint-Michel. Le réalisme historique de Frémiet, ainsi que l’austérité médiévale qui se dégage de l’oeuvre, s’accordait parfaitement avec la vision de Viollet-le-Duc (1814-1879). Frémiet représente l’archange saint Michel en armure sous des traits anthropomorphiques, un corps frêle et élancé, la tête nimbée, les ailes déployées et un drapé léger qui accentuent l’impression de mouvement. De son pied, il écrase le dragon, la gorge déployée faisant apparaître une langue fourchue et des dents incisivesDSC09626.

Il convient de mentionner quelques autres bronzes : les deux miniatures de plomb représentant des cavaliers de 1740, le premier est un timbalier des gardes du corps de Louis XV, le second un officier des Trompettes des gendarmeries, ainsi qu’un ensemble d’armes d’infanterie (deux glaives français de 1831, deux sabres briquets Second Empire, une baïonnette de fusil chassepot de 1866 et un sabre prussien de 1870).

La cloche de l’entrée, fondue en Hongrie en 1936, porte la phrase « Souvenez-vous du pauvre peuple de Hongrie ». Elle renvoit à un épisode sombre de l’histoire du Royaume de Hongrie. Après la déchéance des Habsbourg en 1921, la régence du pays fut assurée par un militaire issu de l’aristocratie calviniste, l’amiral Miklós Horthy de Nagybánya (1868-1957). Dans les années 30, le pays connut une période d’instabilité économique. Le Premier ministre décida de se rapprocher de l’Allemagne nazie et le pays devint complètement dépendant de l’Allemagne, tant sur le plan des matières premières que de l’exportation. Aux élections de 1935, les ultra-nationalistes remportèrent une écrasante majorité au Parlement. L’année suivante, le Premier ministre informa les nazis de son intention de mettre en place un régime politique à parti unique, similaire à la NSDAP, mais il mourut en septembre 1936 sans avoir pu réaliser ce projet. La fonte de cette cloche est donc le témoignage d’une opposition à la montée d’une idéologie destructrice pour le peuple hongrois et pour ses valeurs catholiques intrinsèques.

Conclusion : patrimoine et identité

Les trésors de la Villa Notre-Dame-de-la-Clairière sont essentiellement composés d’oeuvres d’art françaises du XIXe siècle. La collection de Creutzwald offre un panorama unique sur l’art d’un siècle marqué par l’émergence du concert de nation et par le renouveau catholique. Les statues équestres et les scènes de bataille subliment la nation française et ses hauts-faits, quant aux scènes religieuses, elles recherchent davantage le réalisme pour susciter la piété populaire.

La collection de la Villa livre un regard sur les propriétaires de la demeure, sur leur désir d’authenticité, sur leur foi catholique profonde et surtout sur leur ancrage local. La majeure partie des oeuvres d’art religieux fait mention de scènes de la passion du Christ. Les oeuvres laïques portent toujours une emprunte de piété. Elles font mention d’événements historiques de notre continent et de familles règnantes européennes.

Une concentration d’oeuvres aussi eclectiques dans une maison privée revêt une dimension tout à fait exceptionnelle pour la région. Ce trésor n’aurait jamais pu se trouver à Creutwald sans l’engagement de la Fédération Pro Europa Christiana qui sut sauver nombre d’oeuvres de notre patrimoine local de la destruction, pour les préserver et les mettre en valeur dans le cadre magnifique de la Villa Notre-Dame de la Clairière.

Philippe SANGNIER